Nuages

L’utopie de la connexion universelle entraîne l’humanité dans un projet prométhéen: la construction d’un espace mondial spécifiquement conçu pour le confort des données, fait de centaines de milliers de data centers interconnectés par des câbles étendus au fond des océans ou traversant des continents entiers. Espace unique, uniforme, mondial, bien que divisé en une infinité d’entités connectées, c’est également un espace de contrôle absolu situé hors du monde ordinaire, totalement inorganique, dont la dépense d’énergie croît sans cesse, et dont la capacité de stockage augmente selon une courbe exponentielle.

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Toutes les informations possibles, toutes les données, toutes les personnes, sont enregistrées dans des mémoires immenses, déterritorialisées, attendant une requête d'utilisateur leur demandant de s'agréger en un point donné de l'espace. Société évaporée dans le nuage, en attente d'actualisations partielles. Chacun se retrouve au centre d'un gigantesque nuage, dont l'architecture rend également et instantanément accessible une quantité d'informations énorme: potentiellement, toute l'information.

Je suis au centre de mon nuage, à équidistance des potentialités qu'il m'offre. Simultanément, je suis dans le nuage d'autres, qui se trouvent eux-mêmes dans le nuage d'autres et ainsi de suite. Mon monde s'actualise au point de l'espace où je l'appelle. Le monde d'un autre s'agrège en un autre point. Il n'y a qu'un seul et immense nuage, pourtant chacun est au centre.